L’agroécologie incarne une agriculture durable, respectueuse des équilibres environnementaux. C’est une politique de production agricole qui, faut-il le souligner, a pour vocation d’optimiser la production alimentaire sans mettre en danger la nature. Dans cette interview accordée à Envirinfos.net depuis la France où il réside, le président et fondateur de l’ONG le Centre d’actions et de réalisations internationales (CARI), Patrice Burger explique les avantages de l’agroécologie, aborde ses moments passés au Burkina Faso et sa rencontre avec le président Thomas Sankara.
Envirinfos : Présentez-nous votre ONG, le CARI
Patrice Burger: Le Centre d’actions et de réalisations internationales (CARI) est une ONG française basée à Viols le Fort près de Montpellier. J’en suis le président et fondateur.
Le CARI est un acteur reconnu de la lutte contre la dégradation des terres et la désertification. Constatant le peu de mobilisation sur le sujet dans les années 90, je me suis engagé il y a presque 40 ans dans l’écologie et l’agroécologie appliquées au développement rural des zones sèches.
Durant mon parcours dans de nombreux pays et pas seulement en Afrique, j’ai constaté la faible structuration des acteurs à la base. Ce qui m’a conduit à co-fonder en plus du CARI, divers collectifs et réseaux d’acteurs notamment d’ organisations de la société civile pour plaider en faveur de l’agro écologie.
Envirinfos : Rappelez-nous vos débuts au Burkina Faso
Patrice Burger: Le Burkina Faso a été pour moi un lieu d’apprentissage et un peu mon pays de cœur. De fin 1984 à 1987 en tant que membre du Point Mulhouse, avec Pierre Rabhi ( paysan et personnalité publique), nous avons fondé « le Campement Hôtelier et Centre de formation à l’agroécologie de Gorom Gorom » dans l’Oudalan, région du Sahel.
J’ai habité sur place avec ma famille à cette époque comme dans mon propre village et Ouagadougou était une petite ville. Il fallait 8 heures pour y accéder sur des pistes de sable cent fois pratiquées via Kaya et Dori ou alors Arabinda et Djibo.
Envirinfos : Que faut-il entendre par agro écologie selon vous ?
Patrice Burger : L’agroécologie vise à produire sans détruire; elle refuse l’utilisation des produits chimiques, respecte et valorise la vie des écosystèmes, et d’une manière générale utilise des techniques et des principes pour favoriser le vivant et la biodiversité dans la gestion des ressources naturelles.
Elle tend à maintenir, restaurer ou augmenter la fertilité des sols par la gestion rigoureuse des ressources naturelles, stocker et économiser l’eau, et ceci aussi bien au niveau de la simple parcelle cultivée jusqu’au territoire et au paysage entier. C’est un moyen privilégié pour lutter contre la désertification et la dégradation des terres à tous les niveaux.
Née dans les années 1920 et progressivement décrite et analysée dans ses nombreuses formes toujours adaptées aux contextes, c’est une agriculture qui combine avec les forces de la nature plutôt que de s’opposer à la nature.
S’opposant par définition à la simplification des paramètres auxquels la Révolution Verte réduit l’agriculture, l’agroécologie est hautement scientifique car elle cherche à connaître, comprendre et tirer profit des dynamiques écologiques des milieux tout en servant les besoins économiques et sociaux.
Elle est une des formes les plus exigeantes des approches des agricultures qui cherchent à intensifier les processus écologiques comme l’agriculture biologique, la permaculture, l’éco-agriculture, l’agriculture de précision, l’agroforesterie, etc…
Elle cherche surtout à ne pas dépasser les capacités des ressources naturelles à se renouveler et à maintenir productifs les patrimoines nourriciers et rend très concrète cette formule du développement durable « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs », citation de Mme Gro Harlem Brundtland, Premier Ministre norvégien (1987).
Des travaux scientifiques et des orientations politiques ( FAO, HLPE, …) de plus en plus nombreux mettent en évidence ses valeurs ajoutées et posent l’agroécologie comme une véritable opportunité pour la transition agricole qui s’impose pour diverses raisons économiques, écologiques, énergétiques et sociales aux systèmes alimentaires dans le monde et la recherche de leur résilience.
Envirinfos : Quelles sont les avantages de la pratique de l’agro écologie ?
Patrice Burger : Parmi le avantages de l’agroécologie, on peut citer des productions saines, de haute valeur gustative et nutritive, l’économie de l’eau d’irrigation, l’amélioration de la fertilité de sols par la gestion de la matière organique végétale et animale (dont le compostage) , la meilleure structuration des sols contre l’érosion de l’eau et du vent, le stockage de l’eau dans le sol et le maintien de son humidité, le développement de la vie biologique du sol et de sa biodiversité, etc.
Et, par extension, l’agroécologie contribue au concept de « one health », c’est-à-dire d’une meilleure santé globale jusqu’à l’amélioration du cadre de vie de nombreuses populations qui vivent sur leur site de production.
L’ensemble offre une prévention et un remède contre le processus de dégradation des terres, notamment en évitant la destruction de la vie du sol et en favorisant sa dynamique ce qui se révèle particulièrement pertinent dans la situation sahélienne.
Dans ce contexte, j’ai eu l’occasion d’entretenir une véritable complicité amicale jusqu’à son décès en 2014, avec Hama Arba Diallo de Dori. Il est devenu le secrétaire exécutif de la Convention des Nations Unies de lutte contre la Désertification et un homme engagé pour tenter de rendre effectif cet instrument multilatéral de l’environnement qui à l’époque n’intéressait pas grand monde . A ce jour je reste engagé dans ce processus multilatéral et la cause de la lutte contre la désertification.
On ne peut parler d’agroécologie sans mentionner la volonté de préserver les écosystèmes et d’une certaine manière les personnes qu’ils hébergent. En effet, l’agroécologie vise plus large que la seule parcelle ou l’exploitation.
Envirinfos : Parlez-nous des activités que vous avez déjà réalisées dans le domaine de l’agro écologie au profit du Burkina.
Patrice Burger: Pour certains, la proposition de l’agroécologie était une pure régression non scientifique et une forme de refus de notre part de donner accès aux méthodes et moyens tels que pratiqués par l’agriculture conventionnelle en usage dans les pays du nord.
Certains allant même jusqu’à évoquer « une volonté de maintenir le Burkina dans le sous-développement » . L’illusion entretenue par la Révolution Verte d’un modèle seulement positif engendrait à l’égard de l’agroécologie de nombreuses incompréhensions.
Plus de 800 stagiaires ont été formés dont beaucoup d’agents de la DFOMR ( direction et de la formation du monde rural) du Ministère de la Question Paysanne ( alors sous la responsabilité de Benoit Hamidou Ouedraogo et dont Georgette Ouedraogo était une animatrice).
Une fois de retour de formation, certains stagiaires avaient à cœur de réinvestir les acquis dans leur structure ou milieu professionnel et cela a aussi été favorisé par le suivi appui. Ce fut notamment le cas de Sylvain Korogho à Kamboinsé et Georges Zongo à Kokologho.
Ces deux pionniers de l’agroécologie n’ont pas manqué de passion pour développer l’enseignement et la diffusion de l’agroécologie au Burkina Faso. Georges Zongo créa de toutes pièces l’ADTAE ( association de développement des techniques agroécologiques ) à Kokologho et accueillit sur place de nombreux stagiaires et quelquefois des stagiaires étrangers qui venaient s’informer.
Le centre écologique Albert Schweitzer a également adopté l’agroécologie. En réalité, la mémoire me manque pour décrire le véritable mouvement agroécologique qui s’était déclenché sous de formes diverses dans le pays mais des mots d’ordre nationaux du type « une fosse fumière par famille » étaient promulgués.
Avec Philippe Desbrosses, alors membre du bureau de la Fédération mondiale des mouvements organiques, (IFOAM) nous avons imaginé, sur la base des travaux de Gorom et dans le pays, la tenue de la première conférence internationale dans ce pays en développement.
Grâce à un concours de circonstances et sa présence aux Etats Unis, Georgette Ouedraogo a pu défendre la candidature du Burkina lors d’une session décisionnaire de notre mouvement en Californie.
La conférence IFOAM s’est finalement tenue à Ouagadougou du 02 au 05 janvier 1989 malgré les nombreuses réticences des organisateurs qu’il a fallu systématiquement vaincre au prix d’une belle dépense d’énergie et de convictions.
Pour l’anecdote, en dernier ressort, j’ai eu moi-même l’occasion d’affrêter un vol spécial de la compagnie Naganagni ( voir la suite ) Orly Ouagadougou pour transporter les participants à la conférence ! Quelle aventure. Mais elle a marqué l’ouverture de l’IFOAM à la tenue des conférences dans les pays en développement.
Cette dynamique qui a inspiré la suite et les multiples initiatives qui ont fleuri dans le pays comme la ferme de Guié, les travaux de Blandine Sankara, et même comme il me l’a confié lui-même, la démarche de Mathieu Ouédraogo qui a reçu le prix Land for life. Rien n’arrête une idée dont le temps est venu dit-on.
Envirinfos : Comment s’est fait votre connaissance avec Thomas Sankara le père de la révolution burkinabè ?
Patrice Burger : Je n’ai rencontré qu’une seule fois Thomas Sankara à Gorom Gorom lors de sa venue pour inaugurer une « cité de la Révolution » et nous savions qu’il soutenait l’action que nous menions ; Il a au moins une fois rencontré Pierre Rabhi.
Lorsqu’il faisait mentionner sur les murs de Ouagadougou « consommons ce que nous produisons » il était pleinement dans l’esprit de l’agroécologie.
Thomas Sankara a été un acteur déterminant de la venue du Point Mulhouse et de ses touristes au Burkina Faso bien avant qu’il ne devienne le chef de l’État. Il voulait désenclaver le pays et générer un Burkina ouvert sur le monde.
Il a par la suite aussi demandé au point Mulhouse de trouver une solution pour exporter la production des haricots produits autour du lac de Bam.
D’une certaine manière, cette posture était prémonitoire des questions cruciales posées au monde aujourd’hui, notamment suite aux spéculations financières sur les denrées alimentaires, aux problèmes du transport international et de l’énergie, et aux effets de la guerre en Ukraine.
Son effort en faveur du Faso Dan Fani, ( on ne parlait pas encore de relocalisation…), les mesures restrictives sur l’importation des bananes de Côte d’Ivoire , et bien d’autres mesures sur les questions intérieures toujours préoccupé par sa conception sur les dépendances/indépendance du pays, étaient visionnaires .
Il avait fait de la pauvreté du pays un argument d’émancipation et de lutte contre la fatalité. Une de ses formules résume cette vision : « Refuser l’état de survie, desserrer les pressions, libérer nos campagnes d’un immobilisme moyenâgeux ou d’une régression, démocratiser notre société, ouvrir les esprits sur un univers de responsabilité collective pour oser inventer l’avenir.»
Mais, les révolutions, par leurs travers et leurs excès, mais aussi par la remise en cause des positions dominantes qui s’opposent au changement, finissent souvent mal. « Il avait le tort d’avoir raison trop tôt et de vouloir aller trop vite ! » as-t-on pu lire avec raison.
Envirinfos : Thomas Sankara avait une grande vision pour l’environnement et l’agro écologie. Que savez-vous de cette vision et surtout de la stratégie de mise en œuvre ?
Patrice Burger: Concernant l’agroécologie, Thomas Sankara avait surtout en tête la reconnaissance et la promotion du monde paysan et c’est la raison pour laquelle il a créé le Ministère de la Question Paysanne ( en plus du ministre de l’agriculture) et dont l’intitulé même avait une signification politique de ses intentions dans un pays où l’essentiel de la population était rurale et paysanne.
Son héritage politique est vivant dans de nombreux domaines et l’appellation qu’il avait voulu « de pays des hommes intègres » reste présent. Même si ce slogan est forcément caricatural et à prendre avec du recul, il reste une inspiration de ce que je nommerais une injonction à vivre debout même si on est pauvre.
Les graines de l’ambition qu’il a semé, de même que les graines de l’agroécologie que nous avons introduites, continuent de lever au Burkina. La toute dernière Stratégie Nationale de Développement de l’Agroécologie au Burkina en avril 2022 n’est que la plus récente preuve de cette vitalité qui fait du Burkina un pionnier.
La vitalité des organisations de la société civile du Burkina Faso n’est plus à démontrer. Ce pays, surtout dans la période actuelle, reste un laboratoire indispensable à l’invention des solutions pour un avenir viable.
LA REDACTION