La COP30, censée marquer un tournant stratégique pour accélérer l’action climatique mondiale, se retrouve au centre d’une polémique croissante : l’emprise exceptionnelle des industries fossiles sur les négociations. D’après la coalition Kick Big Polluters Out (KBPO), plus de 1 600 personnes accréditées, soit un participant sur 25, seraient affiliées aux secteurs du pétrole, du gaz ou du charbon. Seule la délégation brésilienne forte de 3 805 délégués les dépasse en nombre.
Cette présence massive n’est pas une simple anecdote statistique. Elle marque une hausse de 12 % par rapport à la COP de Bakou en 2024, et une part proportionnelle encore jamais observée. Beaucoup de ces représentants entrent via des badges gouvernementaux, sans dévoiler clairement leur employeur ou leur intérêt sectoriel. Cette opacité pose un véritable défi à la transparence du processus onusien et questionne la capacité des négociations à servir l’intérêt public plutôt que celui des industries responsables d’une large part des émissions mondiales.
Un risque majeur de dilution de l’ambition climatique
L’une des implications les plus préoccupantes est le risque de neutralisation des ambitions climatiques. Quand les négociations doivent trancher sur la sortie progressive des énergies fossiles, l’introduction de centaines de délégués liés à ces secteurs peut infléchir les positions finales, encourager des formulations ambiguës ou retarder des décisions pourtant jugées urgentes par la communauté scientifique.
Les précédents le montrent : plus le lobby fossile est représenté dans les espaces décisionnels, plus les textes finaux tendent à privilégier des notions floues comme “réduction des émissions” plutôt qu’une élimination planifiée des combustibles fossiles.
La crédibilité du Brésil en question
Le Brésil souhaitait faire de la COP30 une vitrine de son engagement écologique. Mais le pays poursuit en parallèle une politique agressive d’exploration pétrolière, y compris dans les zones sensibles de l’Amazonie et de l’Atlantique équatorial. Cette contradiction alimente les critiques : comment accueillir une COP en prétendant défendre la forêt et le climat, tout en ouvrant de nouveaux gisements d’hydrocarbures ?
Cette ambiguïté affaiblit la position morale du Brésil et met en péril son ambition de devenir un acteur clé de la diplomatie climatique.
Un risque de perte de confiance dans le processus multilatéral
À long terme, la répétition de telles situations peut provoquer :
- Une perte de confiance des citoyens dans la capacité de la COP à défendre l’intérêt général;
- Un recul de l’engagement des pays vulnérables, estimant que les négociations sont biaisées;
- Une montée en puissance d’alternatives diplomatiques parallèles, contournant l’ONU, comme les coalitions thématiques ou les initiatives privées (ex. Pacte de non-prolifération des combustibles fossiles);
- Une fragilisation du financement climatique, si les investisseurs considèrent le processus trop capturé par les intérêts polluants;
Vers une réforme de la gouvernance climatique ?
Face à ce constat, plusieurs ONG et délégations appellent à :
- nterdire la participation des représentants fossiles dans les délégations officielles ;
- Rendre obligatoire la divulgation des affiliations professionnelles de chaque accrédité ;
- Établir un registre public et vérifiable des intérêts représentés à chaque COP ;
- Créer un cadre de gouvernance indépendant pour superviser l’accès aux négociations.
À l’image de l’Organisation mondiale de la santé ayant exclu l’industrie du tabac de ses processus décisionnels, certains estiment qu’une réforme similaire est nécessaire pour préserver l’intégrité du climat.
Un test pour la crédibilité mondiale
La COP30 devient ainsi le symbole d’un combat plus profond : celui de la légitimité des négociations internationales. Si les États veulent maintenir la crédibilité du multilatéralisme climatique, ils devront clarifier les règles du jeu et limiter l’influence disproportionnée des secteurs responsables de la crise.
Une interrogation essentielle demeure : peut-on construire un avenir bas carbone en laissant les principaux émetteurs dicter les contours de la transition ? C’est tout l’enjeu de la COP30 et potentiellement la clé de confiance du public pour les années à venir.
Emmanuel DIAGBOUGA



